Synchronisation des cerveaux : quand nos esprits se branchent sur la même fréquence

Synchronisation des cerveaux : quand nos esprits se branchent sur la même fréquence

Depuis plusieurs décennies, les neurosciences nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain. Cependant, la plupart des recherches se sont concentrées sur l’étude d’un cerveau unique, observé dans un cadre individuel. Mais qu’en est-il lorsque plusieurs cerveaux interagissent ensemble ? C’est ici qu’interviennent les neurosciences collectives, un champ de recherche en plein essor qui explore comment nos cerveaux se synchronisent lorsque nous échangeons avec autrui. Dans le quatrième épisode du podcast Cerveau – Les dessous de la mécanique, diffusé sur France Culture, la journaliste Natasha Triou s’est entretenue avec Xavier Alario, directeur de recherche au CNRS, et Guillaume Dumas, professeur de psychiatrie computationnelle à l’Université de Montréal. Ensemble, ils ont décortiqué le phénomène fascinant de la synchronisation inter-cérébrale et ses implications dans nos interactions sociales.

Quand nos cerveaux se mettent au diapason

Avez-vous déjà ressenti une connexion instantanée avec une personne, cette impression d’être “sur la même longueur d’onde” ? Il s’avère que cette expression n’est pas seulement métaphorique : nos cerveaux sont effectivement capables de se synchroniser avec ceux des autres. Cette découverte récente bouleverse notre compréhension des interactions humaines.

Les chercheurs ont mis en évidence que plus deux individus passent du temps ensemble, plus leurs activités cérébrales tendent à se ressembler. La nature de cette synchronisation varie en fonction du degré d’intimité et du type d’interaction. Lorsqu’une conversation est fluide, lorsque nous travaillons en équipe ou même lorsque nous écoutons le même discours, nos ondes cérébrales se synchronisent, comme un orchestre qui suit un même chef d’orchestre.

De la télépathie à la science : l’histoire d’une idée controversée

Si aujourd’hui la synchronisation cérébrale est un champ d’étude reconnu, ce ne fut pas toujours le cas. Dans les années 1960, certaines expériences avaient déjà tenté d’examiner la possibilité d’une communication à distance entre les cerveaux. Un article paru en 1965 dans Science prétendait même avoir démontré une forme de télépathie entre des jumeaux. Cependant, ces études étaient souvent biaisées et manquaient de rigueur scientifique.

C’est seulement au début des années 2000 que la communauté scientifique a véritablement commencé à explorer ce phénomène avec des outils fiables. Aujourd’hui, grâce à des technologies avancées comme l’hyperscanning, la synchronisation inter-cérébrale est devenue un sujet de recherche crédible et rigoureusement analysé. En effet, L’hyperscanning est une technique de neuroimagerie qui permet l’enregistrement simultané de l’activité cérébrale de deux ou plusieurs individus engagés dans une interaction sociale ou une tâche commune. Contrairement aux approches traditionnelles focalisées sur le cerveau isolé, l’hyperscanning offre une perspective dynamique pour étudier les mécanismes neuronaux sous-jacents aux interactions humaines

Plusieurs technologies sont employées pour réaliser des études en hyperscanning, notamment :

Électroencéphalographie (EEG) : Cette méthode mesure l’activité électrique du cerveau avec une résolution temporelle élevée, essentielle pour capturer les dynamiques rapides des interactions sociales.

Spectroscopie proche infrarouge fonctionnelle (fNIRS) : Cette technique portable et tolérante aux mouvements mesure les variations de l’oxygénation sanguine dans le cortex cérébral, permettant l’étude d’interactions dans des environnements plus naturels.

Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (fMRI) : Offrant une résolution spatiale élevée, la fMRI est utilisée pour explorer en profondeur les processus neurocognitifs impliqués dans les interactions sociales, bien que sa sensibilité aux mouvements limite son utilisation dans des contextes interactifs naturels.

L’hyperscanning a été appliqué dans divers domaines pour étudier

La coordination et la synchronisation sociale : Des études ont montré que des activités coordonnées, comme jouer de la musique ensemble, entraînent une synchronisation des activités cérébrales entre les participants.

Les processus de prise de décision en groupe : En enregistrant simultanément l’activité cérébrale de plusieurs individus, les chercheurs peuvent analyser comment les décisions collectives émergent et comment les cerveaux interagissent lors de ces processus.

Les interactions éducatives et l’apprentissage collaboratif : L’étude de la synchronisation neuronale entre enseignants et élèves peut fournir des insights sur les mécanismes favorisant un apprentissage efficace.

Les relations thérapeutiques : L’hyperscanning est utilisé pour explorer les interactions entre thérapeutes et patients, offrant des perspectives sur l’efficacité des interventions thérapeutiques basées sur la relation interpersonnelle.

Malgré son potentiel, l’hyperscanning présente des défis, notamment en termes de synchronisation des données entre plusieurs systèmes d’enregistrement et d’analyse des interactions complexes entre les cerveaux. Cependant, avec les avancées technologiques et méthodologiques, l’hyperscanning ouvre de nouvelles voies pour comprendre les bases neuronales des interactions sociales humaines.

La synchronisation cérébrale, clé des interactions sociales

Les recherches actuelles montrent que la synchronisation inter-cérébrale joue un rôle fondamental dans nos interactions sociales. Que ce soit dans un échange verbal, un travail d’équipe ou même une simple synchronisation des gestes, nos cerveaux s’adaptent pour mieux communiquer et coopérer.

L’étude d’une équipe de recherche en 2018, publiée dans PNAS (voir ci dessous) , a révélé que la simple action de tenir la main d’un proche en souffrance entraîne une synchronisation des ondes cérébrales entre les deux individus. Plus cette synchronisation est forte, plus le niveau d’empathie est élevé et plus la douleur ressentie par la personne en souffrance diminue. Ce phénomène pourrait expliquer pourquoi les contacts physiques ont un effet apaisant et thérapeutique.

Cette étude explore le phénomène de synchronisation cérébrale interpersonnelle (brain-to-brain coupling) lors du toucher social et son effet sur l’atténuation de la douleur. Alors que la recherche a démontré que le contact physique réduit le stress et la douleur, les mécanismes sous-jacents restent mal compris. L’objectif de cette étude est d’examiner si le fait de tenir la main d’un partenaire amoureux pendant une expérience douloureuse entraîne une synchronisation neuronale accrue entre les cerveaux des deux partenaires et si cette synchronisation est corrélée avec une réduction de la douleur ressentie.

Méthodologie

  • Participants : 22 couples hétérosexuels en relation depuis au moins un an.
  • Conditions expérimentales :
    1. Main dans la main, sans douleur.
    2. Sans contact physique, sans douleur.
    3. Main dans la main, avec douleur.
    4. Sans contact physique, avec douleur.
    5. Individuel, douleur seule (contrôle).
    6. Individuel, sans douleur (contrôle).
  • Enregistrement des données cérébrales :
    • Électroencéphalographie (EEG hyperscanning) pour mesurer la synchronisation cérébrale entre les partenaires.
    • Focus sur les ondes alpha-mu (8-12 Hz), impliquées dans la perception de la douleur et l’empathie.
  • Évaluation de la douleur : La partenaire féminine recevait une stimulation thermique douloureuse sur l’avant-bras et notait l’intensité perçue sur une échelle de douleur. Le partenaire masculin devait estimer le niveau de douleur ressenti par sa compagne.

Résultats Clés

La synchronisation cérébrale entre partenaires augmente avec le toucher et la douleur :

  • Lorsque la main du partenaire est tenue, les cerveaux des deux individus se synchronisent davantage, particulièrement dans les régions centro-frontales du partenaire souffrant et pariétales-occipitales du partenaire aidant.
  • Cette synchronisation est significativement plus forte dans la condition main dans la main avec douleur par rapport aux autres conditions.

La synchronisation est corrélée à la réduction de la douleur :

  • Plus le couplage cérébral entre les partenaires est fort, plus la douleur ressentie est atténuée chez la personne qui souffre.
  • Le toucher ne se contente pas d’apporter une simple distraction : il active un mécanisme neuronal lié au soulagement de la douleur.

L’empathie joue un rôle clé dans la synchronisation cérébrale :

  • La précision avec laquelle le partenaire aidant estime la douleur de sa compagne est directement corrélée avec la force du couplage neuronal entre eux.
  • Une meilleure empathie du partenaire se traduit donc par un couplage cérébral plus marqué et un effet analgésique plus important.

Les résultats ne sont pas expliqués par un simple effet de présence :

  • Lorsque le partenaire est présent mais ne touche pas la personne souffrante, la synchronisation cérébrale et l’effet analgésique sont significativement plus faibles que dans la condition main dans la main.
  • Ceci suggère que le contact physique est un élément déterminant dans l’effet analgésique.

Les régions cérébrales impliquées correspondent aux circuits de l’empathie et de la perception sensorielle :

  • Le lobe pariétal droit du partenaire aidant semble jouer un rôle essentiel dans l’intégration des informations tactiles et émotionnelles.
  • Le cortex somatosensoriel du partenaire souffrant est impliqué dans la perception du toucher et dans la régulation de la douleur.
  • Ces résultats suggèrent que le toucher social pourrait être utilisé comme une intervention thérapeutique naturelle pour atténuer la douleur dans des contextes médicaux (ex. soins palliatifs, accouchement).
  • Compréhension du rôle de l’empathie : Cette étude confirme que la connexion émotionnelle entre les individus a un impact physiologique mesurable sur la perception de la douleur.
  • Applications en neurosciences sociales : L’étude contribue aux recherches sur l’interaction neuronale en temps réel et pourrait s’appliquer à des domaines comme la communication interpersonnelle et les relations sociales.

Cette étude apporte une preuve expérimentale que la synchronisation cérébrale entre individus joue un rôle clé dans l’atténuation de la douleur. Elle montre que tenir la main d’un proche en souffrance ne relève pas seulement d’un geste symbolique, mais a un véritable effet neurophysiologique mesurable. L’importance de l’empathie et de l’engagement émotionnel du partenaire aidant souligne le rôle du toucher comme outil puissant de communication et de soutien social. Un autre aspect fascinant de cette recherche est que même l’écoute passive d’un contenu peut entraîner une synchronisation des cerveaux. Lorsque plusieurs personnes écoutent une histoire captivante ou un discours inspirant, leurs cerveaux commencent à afficher des schémas d’activité similaires, même si elles ne se trouvent pas dans le même espace physique.

Applications médicales et implications pour la psychiatrie

L’étude des interactions cérébrales pourrait révolutionner le domaine médical, notamment dans le diagnostic et le traitement des troubles psychiatriques. Guillaume Dumas travaille actuellement sur un projet visant à analyser la synchronisation cérébrale chez les patients atteints de troubles du spectre autistique (TSA). Son objectif est de mieux comprendre comment ces individus interagissent avec leur environnement et comment la neuroscience peut les aider à améliorer leur communication.

Le projet SCALE, porté par Dumas, cherche ainsi à déterminer si l’altération des synchronisations cérébrales est une cause ou une conséquence des difficultés d’interaction sociale chez les personnes autistes. Contrairement à l’approche classique qui attribue le « déficit » à un individu unique, cette recherche met en lumière l’idée que l’interaction elle-même – entre une personne autiste et un individu neurotypique – pourrait être à l’origine de la difficulté de communication.

La technologie et ses effets sur la synchronisation cérébrale

Avec l’essor des visioconférences et des échanges numériques, se pose la question de l’impact des nouvelles technologies sur notre capacité à nous synchroniser socialement. Une étude récente a démontré que les conversations en visioconférence réduisent significativement la synchronisation cérébrale. En raison des micro-délai de transmission et du manque d’indices corporels (gestes, postures, contacts visuels), notre cerveau peine à créer une véritable connexion avec notre interlocuteur.

Cette découverte soulève des questions essentielles sur l’utilisation des écrans, en particulier pour les jeunes enfants. Guillaume Dumas et son équipe recommandent ainsi d’éviter autant que possible l’usage des visioconférences pour les enfants de moins de cinq ans, afin de préserver leur développement social et émotionnel.

Vers une meilleure compréhension du cerveau social

L’étude de la synchronisation inter-cérébrale ouvre de nouvelles perspectives passionnantes. Elle nous rappelle que nos interactions ne se limitent pas aux mots et aux gestes : elles impliquent une connexion profonde entre nos cerveaux, une danse neuronale subtile qui façonne nos relations et notre compréhension mutuelle.

Dans un monde où les relations sociales évoluent rapidement avec les nouvelles technologies, ces découvertes pourraient avoir des applications précieuses. Que ce soit pour améliorer la communication dans les équipes de travail, optimiser les méthodes d’apprentissage ou encore mieux comprendre les troubles psychiatriques, les neurosciences collectives pourraient bien révolutionner notre manière d’interagir les uns avec les autres.

Si cet article vous a captivé, n’hésitez pas à le partager et à nous donner votre avis en commentaire ! Pour en savoir plus sur ce sujet fascinant, vous pouvez écouter l’épisode complet du podcast Cerveau – Les dessous de la mécanique sur France Culture.

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