2025 : Le monde en état d’alerte humanitaire — que nous dit vraiment le dernier rapport d’Amnesty International ?
À première vue, le dernier rapport d’Amnesty International, publié le 29 avril 2025, dresse un tableau catastrophique : le monde des droits humains est à genoux. Des conflits majeurs – de Gaza au Soudan, de l’Ukraine à la Birmanie – déchirent des populations entières, pendant que les grands États foulent aux pieds le droit international. L’effet Trump, ressuscité dès les premiers jours de son second mandat, alimente une dynamique globale de repli autoritaire et de dérégulation tous azimuts. La police tire sur des étudiants au Bangladesh ; des militantes pro-démocratie sont condamnées à dix ans de prison à Hong Kong ; des manifestants pacifiques sont réprimés dans les universités américaines pour leur soutien à la Palestine. Et pendant ce temps, le climat se dérègle, les Big Tech amplifient la haine, les algorithmes discriminent, et les réfugiés sont expulsés par centaines de milliers.
Mais que faire de ce constat ? Que faire, surtout, du sentiment d’impuissance qu’il peut nourrir ?
C’est ici qu’il faut être lucide sur le rôle même d’un rapport comme celui d’Amnesty. Il ne propose pas de solution. Ce n’est pas sa mission première. Il documente, il atteste, il alerte — comme un médecin qui rendrait un bilan vital, sans pouvoir encore prescrire de traitement. En cela, son regard est froid, rigoureux, nécessaire. Mais parfois trop. Car ce type de document, à force de détails horrifiants, peut produire un effet paradoxal : une sidération. Une impression que « tout va mal », partout, tout le temps. Un écrasement du possible.
Pourtant, dans ses marges, le rapport laisse filtrer un autre récit, plus discret : les peuples résistent. L’Argentine inscrit l’avortement dans la Constitution. La Thaïlande légalise le mariage homosexuel. Des tribunaux annulent des lois liberticides au Royaume-Uni, au Nigeria ou en Corée du Sud. Des activistes pour le climat obtiennent des victoires juridiques contre des multinationales. Partout, malgré les entraves, le vivant réagit.
Alors, il faut tenir ensemble les deux récits : la gravité du diagnostic et les germes de réponse. Ce que propose ce rapport, c’est de lire entre les lignes du désastre, d’y chercher les zones de friction, de bascule, de mutation, et de se demander : que faire de tout ça ? Quelles formes de lucidité peuvent ouvrir des portes, plutôt que les refermer ?
Ce que ce rapport déclenche en moi, ce n’est pas seulement de la colère ou de l’indignation. C’est une impression plus viscérale : celle d’un monde en perte de centre. Un effondrement des repères, où les lois ne protègent plus, où les mots n’arrêtent plus les balles, et où le langage des droits semble parler dans le vide. On a glissé d’un âge de la norme à un âge de l’impunité.
Le texte d’Amnesty, derrière ses faits bruts, raconte aussi un mythe contemporain : le mythe du Titan déchaîné, celui d’un pouvoir qui ne se reconnaît plus de limites. Et ce pouvoir n’est pas que militaire ou politique — il est algorithmique, il est narratif, il est technologique. Il s’infiltre dans la façon même dont on raconte le monde.
En miroir, les peuples apparaissent comme les figures de l’archétype Prométhéen : porteurs d’une flamme fragile, menacés pour avoir voulu dire « non ». Ces résistances, même marginales, résonnent comme des refus du destin imposé. C’est Gaza qui creuse des tunnels d’humanité au milieu des ruines, ce sont les femmes iraniennes qui défient la loi par un mètre de cheveux, ce sont les étudiants qui campent à Columbia ou à Tolbiac, comme des grains de sable dans la mécanique.
Mais il faut le dire : on assiste aussi à une mutation du Mal. Il n’est plus spectaculaire, il est désormais diffus, technologique, bureaucratique, froid. Ce n’est plus un dictateur en uniforme, c’est une plateforme qui mute ses algorithmes. C’est un drone. Un graphique. Un contrat signé loin des regards. C’est ce que le philosophe Günther Anders appelait « l’obsolescence de l’homme » — non pas qu’on meure, mais qu’on devienne transparent aux systèmes qu’on subit.
Face à cela, les solutions ne peuvent être uniquement techniques ou juridiques. Il nous faut retrouver une capacité poétique, prophétique, collective. Redonner du souffle à nos récits. Car ce qui manque peut-être aujourd’hui, ce n’est pas tant la volonté… que l’image intérieure d’un monde qu’on voudrait vraiment habiter.
Tout le monde ne voit pas le même film. Certains voient la chute, d’autres la métamorphose. Certains voient des empires qui s’effondrent, d’autres des lucioles qui dansent. Ce que je vois, moi, n’est pas un monde figé dans le désastre, mais un monde en bascule. Une scène étrange où le visible se cabre et le discret travaille en silence.
Il y a un autre plan de réalité, qu’on n’écoute pas assez. Ce sont les pratiques minuscules, les gestes qui ne se quantifient pas. Ces pratiques ne « résolvent » pas les crises — elles les transforment de l’intérieur. Elles créent des conditions subtiles où une autre façon d’être au monde devient pensable.
Je ne crois pas aux solutions miracles. Je crois à la densité des présences. Et dans ces présences-là, les récits comptent. Les contes, les mythes, les histoires intimes que l’on transmet dans des cercles, au bord du feu ou sur une messagerie cryptée. Chaque fois qu’un récit alternatif est partagé, un verrou invisible saute quelque part. Un pouvoir de domination perd un pixel. C’est imperceptible, mais réel.
Même les algorithmes, accusés à raison d’avoir accéléré la violence et la polarisation, portent en eux leur antidote. Un outil mal orienté n’est pas un ennemi ontologique. Ce qui compte, c’est la conscience qu’on y met. Ce n’est pas tant la machine que l’intention — le champ informationnel dans lequel elle s’insère. On peut y coder de la beauté. On peut y diffuser des soins. On peut y connecter des résistances.
Analyse du rapport annuel d’Amnesty international du 29 avril 2025
Sources : https://www.amnesty.fr/actualites/rapport-annuel-situation-des-droits-humains-dans-le-monde-2025

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