La sécurité des messageries chiffrées à l’épreuve du parlement : une offensive contestée

La sécurité des messageries chiffrées à l’épreuve du parlement : une offensive contestée

Depuis plusieurs années, les applications de messagerie chiffrée telles que Signal et WhatsApp sont au cœur d’un débat opposant protection de la vie privée et impératifs de sécurité nationale. Cette opposition a récemment pris une tournure politique plus marquée avec le retour au Parlement de la proposition de loi contre le narcotrafic, incluant une disposition particulièrement controversée : l’article 8 ter. Ce texte, supprimé en commission des lois en février 2025, a été réintroduit en mars 2025 par plusieurs députés, relançant une polémique autour du chiffrement des communications.

Une disposition qui relance le Débat

L’examen de la proposition de loi contre le narcotrafic a débuté à l’Assemblée nationale le 17 mars 2025, avec pour objectif de renforcer les outils de lutte contre la criminalité organisée. L’article 8 ter, initialement supprimé en commission, a refait surface via des amendements déposés les 14 et 15 mars 2025 par plusieurs députés, notamment Olivier Marleix (Les Républicains, amendement n°640), Mathieu Lefèvre (Renaissance, amendement n°655) et Paul Midy (Renaissance, amendement n°846).

L’objectif de cette disposition est de contraindre les services de messagerie chiffrée à fournir aux autorités des moyens d’accès aux communications des utilisateurs, dans le cadre d’enquêtes sur la criminalité. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, principal défenseur du texte, a affirmé dans une interview au Parisien le 15 mars 2025 que « sans cet outil, il nous manquera un instrument essentiel » pour lutter contre des organisations criminelles technologiquement avancées. Il assure également qu’il ne s’agit pas d’une surveillance généralisée, mais d’une coopération avec les opérateurs des messageries concernées.

La police nationale et la DGSI (Direction générale de la Sécurité intérieure) ont appuyé cette initiative. Louis Laugier, directeur général de la Police nationale, a déclaré dans Le Figaro du 16 mars 2025 qu’un accès encadré aux communications chiffrées permettrait de mieux lutter contre le crime organisé, tout en respectant les libertés individuelles. De son côté, Céline Berthon, patronne de la DGSI, a également pris position en faveur de l’article 8 ter.

Une opposition ferme des défenseurs du chiffrement

Face à cette offensive législative, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer une atteinte grave à la confidentialité des communications numériques. L’un des principaux arguments avancés par les experts en cybersécurité est que toute tentative d’accès aux échanges chiffrés affaiblit inévitablement la sécurité de l’ensemble du système.

Guillaume Poupard, ancien directeur général de l’ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), a pris la parole le 17 mars 2025 via une publication sur LinkedIn. Il y affirme que la réintroduction de l’article 8 ter « pose toujours de graves problèmes » et que « l’introduction de backdoors, aussi perfectionnées soit-elles, est à la fois irréaliste, dangereux et inefficace ». Selon lui, toute faille introduite dans un système de chiffrement peut être exploitée par des acteurs malveillants, allant bien au-delà des usages prévus par les autorités.

D’autres parlementaires ont exprimé leur opposition, notamment Philippe Latombe et Éric Bothorel, membres du groupe MoDem et de la majorité présidentielle. Sur X (ex-Twitter), Éric Bothorel a publié le 18 mars 2025 que l’article 8 ter constitue « une attaque contre le principe même du chiffrement, au mépris des recommandations des experts en sécurité ».

Gilles Babinet, coprésident du Conseil national du numérique, a également critiqué la mesure en affirmant que « défendre ce principe de backdoor ne démontre rien d’autre qu’une inculture des principes de base du code », soulignant l’opposition quasi unanime des experts en cybersécurité à cette proposition.

Entre sécurité et libertés : Une ligne Fine

Le débat autour de cette disposition illustre une tension persistante entre sécurité publique et protection des libertés fondamentales. Si la lutte contre la criminalité organisée est un impératif, affaiblir le chiffrement de bout en bout mettrait en péril des millions d’utilisateurs légitimes. Des professions sensibles comme les journalistes, les avocats et les militants des droits humains utilisent ces technologies pour protéger leurs communications contre les intrusions malveillantes.

L’un des arguments avancés par les défenseurs du chiffrement est que les criminels s’adapteront rapidement à toute tentative d’accès forcé en développant des solutions alternatives plus difficiles à intercepter. L’exemple de l’Australie est souvent cité : en 2018, une loi similaire a été adoptée, obligeant les entreprises technologiques à collaborer avec les autorités en créant des accès spéciaux aux données chiffrées. Toutefois, les experts en cybersécurité ont montré que cette mesure avait paradoxalement rendu les applications australiennes moins sûres et plus vulnérables aux attaques.

Une décision attendue

L’examen de la proposition de loi contre le narcotrafic doit s’achever à l’Assemblée nationale le 21 mars 2025. Son adoption ou son rejet aura des conséquences significatives sur l’avenir du chiffrement en France. Si l’article 8 ter est maintenu, cela marquera un tournant majeur dans la régulation des technologies numériques, en instaurant un précédent qui pourrait s’étendre à d’autres domaines. En revanche, son rejet confirmerait la prévalence du droit à la vie privée sur les impératifs de surveillance.

Au-delà de ce débat immédiat, la question du chiffrement s’inscrit dans une dynamique mondiale où de nombreux gouvernements cherchent à renforcer leurs capacités de surveillance face aux défis du numérique. Toutefois, l’expérience a prouvé qu’introduire des failles dans un système de sécurité finit toujours par compromettre l’ensemble du dispositif, bien au-delà des intentions initiales.

Alors que la décision finale approche, le bras de fer entre gouvernement, parlementaires et experts en cybersécurité se poursuit, illustrant une fois de plus l’équilibre délicat entre sécurité publique et libertés fondamentales.

Pour aller plus loin: https://www.numerama.com/politique/1928483-au-parlement-loffensive-polemique-contre-la-securite-de-signal-et-whatsapp.html

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/actualites-accueil-hub/lutte-contre-le-narcotrafic-examen-d-une-proposition-de-loi-et-d-une-proposition-de-loi-organique

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