Le chant des baleines à bosse révèle une structure linguistique statistique similaire au langage humain

Le chant des baleines à bosse révèle une structure linguistique statistique similaire au langage humain

Les chants des baleines à bosse ont la même structure statistique que le langage humain, offrant un aperçu des origines de la communication complexe. M. Quinton ; Arnon et al./SCIENCE 2025

Au cœur des eaux du Pacifique Sud, une découverte bouleversante rebat les cartes de ce que nous croyions savoir sur la communication animale. Une équipe internationale de chercheurs, dont Inbal Arnon, Simon Kirby et Ellen C. Garland, démontre que le chant des baleines à bosse suit des lois statistiques typiques du langage humain. Cette avancée, publiée en 2025 dans la revue Science, offre un éclairage saisissant sur les fondements cognitifs partagés entre les espèces.

Entre 2010 et 2017, les chercheurs ont enregistré plus de 31 heures de chants de baleines mâles dans le lagon sud de Nouvelle-Calédonie. Cette population isolée, bien identifiée génétiquement, a fourni un terrain d’étude exceptionnel, avec 55 enregistrements de qualité, dont 27 provenant de chanteurs identifiés. Les chants, captés à l’aide d’hydrophones embarqués et de dispositifs passifs autonomes, ont été minutieusement segmentés en éléments sonores élémentaires, classés en phrases et en thèmes selon une méthode d’apprentissage automatique (self-organizing map, SOM).

L’approche des chercheurs ne s’est toutefois pas arrêtée à une simple classification acoustique. Inspirée par les mécanismes d’apprentissage statistique observés chez les nourrissons humains, l’analyse a fait abstraction des structures thématiques préexistantes pour se concentrer sur les probabilités de transition entre les sons. En découpant les séquences selon des seuils statistiques (ratio de transition), ils ont pu extraire des sous-séquences présentant des régularités frappantes : la fréquence d’apparition de ces séquences décroît avec leur rang, selon une loi de Zipf, un phénomène bien documenté dans les langues humaines.

Plus impressionnant encore, les résultats demeurent robustes quel que soit le seuil de découpe ou la méthode utilisée (probabilités directes, inverses, trigrammes), et surpassent systématiquement les jeux de données aléatoirement mélangés ou tournés. Ce comportement statistique suggère que les baleines structurent leur chant selon des règles d’efficacité similaires à celles de notre langage : les séquences les plus fréquentes sont aussi les plus brèves, conformément à la « loi de brièveté » de Zipf. Ces résultats ont été consolidés à l’aide d’une régression mixte de Poisson, remplaçant une première analyse erronée du coefficient de détermination (R²), comme l’indique un erratum publié le 3 avril 2025.

L’usage d’outils de classification avancés, comme la forêt aléatoire appliquée à plus de 1 600 éléments sonores distincts, a permis de confirmer la stabilité et la cohérence de ces structures sur l’ensemble de la période étudiée. Les chants se renouvellent d’année en année, mais la logique qui sous-tend leur organisation reste étonnamment constante.

Cette étude s’inscrit dans un mouvement plus large de recherche sur les lois linguistiques dans le règne animal. De précédents travaux avaient identifié des motifs similaires chez les primates, les oiseaux ou encore les cétacés, mais rarement avec un tel niveau de rigueur méthodologique. L’équipe dirigée par Arnon et Kirby ne se contente pas d’affirmer une analogie superficielle : elle démontre que les chants de baleines à bosse possèdent une architecture syntaxique émergente qui pourrait relever d’une forme de culture vocale cumulative.

Au-delà de son intérêt biologique, cette découverte interroge les fondements mêmes du langage. Si une espèce aussi éloignée de nous que la baleine à bosse manifeste spontanément des structures répondant aux lois de Zipf, cela pourrait indiquer que ces lois ne sont pas le fruit exclusif de l’intelligence humaine, mais des solutions universelles d’optimisation communicative dans des systèmes évolués. À travers ce miroir acoustique tendu par les cétacés, c’est peut-être notre propre langage que nous apprenons à mieux comprendre.

Référence : Arnon I., Kirby S., Garland E. C., et al. Whale song shows language-like statistical structure, Science, vol. 387, p. 649, 2025. DOI: 10.1126/science.adq7055

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