« Le langage ne commence pas par la loi. Il commence par le souffle, la brûlure, la mémoire, le silence. »
â Grammaire vivante
Julia Kristeva, dans son texte fondamental Le sujet en procĂšs, dynamite la conception classique du langage et du sujet. En reprenant la psychanalyse lacanienne, elle rĂ©vĂšle que le sujet nâest pas une unitĂ© stable, mais un processus traversĂ© de pulsions, de ruptures, de contradictions â un ĂȘtre toujours en devenir.
Ce quâelle appelle le procĂšs du sujet nâest ni un jugement ni une narration : câest le mouvement mĂȘme par lequel un sujet Ă©merge, se dĂ©fait, se recompose, dans une tension permanente entre la loi symbolique (le langage structurĂ©, la grammaire, la norme) et la fonction sĂ©miotique (le chaos des flux, les pulsions, lâĂ©nergie corporelle).
Câest dans cet espace mobile, que Kristeva nomme chora sĂ©miotique, que se joue lâinvention du sens â un espace prĂ©-langagier, pulsionnel, rythmique, qui prĂ©cĂšde toute signification figĂ©e.
Face Ă lâappauvrissement du langage par le signe clos et la syntaxe utilitaire, je propose un alphabet vivant, qui ne soit plus linĂ©aire, ni figĂ©, ni univoque. Un alphabet en procĂšs, dans lequel chaque lettre est une Ă©nergie, une fonction, une vibration symbolique et culturelle.
Ces lettres ne sont pas des vĂ©hicules de mots, mais des unitĂ©s pulsionnelles, des fragments de souffle, de feu, de mĂ©moire, de silence. Elles sâattirent, se repoussent, se lient non par syntaxe mais par rĂ©sonance. Elles rĂ©activent la mĂ©moire oubliĂ©e dâun langage prĂ©alphabĂ©tique, rituel, corporel.
Ce que je dĂ©cris nâest pas une utopie linguistique, mais une archĂ©ologie du verbe : un retour vers lâĂ©tat poĂ©tique du langage, tel que Kristeva le situe dans le langage poĂ©tique, lĂ oĂč le sens ne sâaligne plus, mais danse.
đ Lettres vivantes en rĂ©sonance avec le sujet en procĂšs
1. đŹ A’ â Le Souffle Originel
Kristeva : La Chora sĂ©miotique comme espace dâĂ©mergence pulsionnelle.
Fonction : Invoquer, initier, ouvrir le langage.
Vibration : [a], [h], [É]
Graphie : Ë , âż , ( )
Comme la chora, A’ est une lettre qui ne dit pas encore â elle prĂ©pare. Elle correspond exactement Ă lâespace prĂ©-langagier et pulsionnel que Kristeva situe en amont de toute syntaxe.
2. đ„ SH â Le Feu / La Mutation
Kristeva : Le principe de négativité comme moteur de transformation.
Fonction : Transformer, initier la crise.
Vibration : [Ê], [k], [x]
Graphie : âł , >~< , â
SH est la lettre de la fracture créatrice. Elle agit sur les lettres voisines, les met en tension, les met en procÚs. Elle est aussi un lieu de transgression du langage normatif, comme le langage poétique chez Kristeva.
3. đ M â Le Flux / La MĂ©moire mouvante
Kristeva : Le sémiotique comme mouvement traversant le symbolique.
Fonction : Relier, transmettre.
Vibration : [m], [mu], [Ć]
Graphie : ~ , â , âż
M est la lettre de la continuité mouvante, de la mémoire fluide. Elle est matricielle, féminine, profonde. Elle relie sans figer, transporte sans contrÎler.
4. đ Ă â Le Vide actif
Kristeva : La dissolution du signe comme ouverture Ă lâinfini du sens.
Fonction : Suspendre, accueillir lâindicible.
Vibration : silence, souffle suspendu.
Graphie : â
, ⊠, âŻ
Ă est la lettre du non-dit, du vide porteur. Elle est lâintervalle, lâespace sacrĂ© entre deux signes. Elle crĂ©e une respiration signifiante, une pause fĂ©conde, une attente chargĂ©e.
đ Tableau rĂ©sumĂ©
Lettre | Concept kristevien | Fonction | Effet |
---|---|---|---|
A’ | Chora sĂ©miotique | Invoquer | Ouvre le flux du langage |
SH | Négativité | Transformer | Met en crise, provoque la mutation |
M | Sémiotique | Relier | Crée un flux de sens entre les signes |
à | Dissolution du signe | Suspendre | Crée une respiration, un seuil symbolique |
đș Conclusion
Le projet dâun alphabet vivant, en rĂ©sonance avec la pensĂ©e de Julia Kristeva, nâest ni linguistique, ni purement artistique. Il est ontologique. Il interroge non pas ce que nous disons, mais ce que le langage fait de nous.
Dans Le sujet en procĂšs, Kristeva nous rappelle que le sujet se constitue dans le conflit, la fracture, la pulsion, le rejet des structures closes. Le langage nâest pas un outil : il est un milieu mouvant, une tension entre ce qui tente de se dire et ce qui insiste Ă ne pas se dire.
De la mĂȘme maniĂšre, lâalphabet vivant ne cherche pas Ă encoder du sens, mais Ă le faire Ă©merger. Il repose sur des lettres vibratoires, en tension, en rĂ©sonance, qui se transforment, sâinterrompent, se rĂ©pondent, sâoublient. Chaque sĂ©quence est une danse du sens, une tentative dâexister autrement, dâĂ©crire non pour dire, mais pour traverser.
En cela, cette Ă©criture nâest pas seulement une esthĂ©tique :
câest une pratique existentielle, une rĂ©sistance symbolique contre lâappauvrissement de la parole,
un appel Ă retrouver le corps du langage,
un chant fractal du sujet en devenir.
Et peut-ĂȘtre que lĂ â entre le souffle (A’), la crise (SH), le flux (M) et le silence (Ă) â
quelque chose comme un autre sujet advient.
Non plus défini. Mais vibrant. Traversé. Vivant.
Pour aller plus loin et se documenter:
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